Les formes d'art contemporain ont changé parce que peu d'époques furent aussi fertiles en boulversements que le XXème siècle. Les trentes années qui précédèrent 1914 furent particulièrement décisives ; sur les plans philosophique, politique, social et moral mais également scientifique, technique et économique surgirent des modifications qui orientent encore aujourd'hui notre pensée et notre style de vie.La destruction du monde figuratif est étroitement liée aux nouvelles réalités, même si ces véracités du témoignage optique imposent autant qu'elles peuvent faire douter. Le réel est en-deçà ou au-delà du regard, il est à l'échelle de l'électron mais aussi à celle de l'infini cosmique. L'utilisation de nouvelles énergies comme la vapeur, l'électricité ou le pétrole modifie le travail et le comportement. Parallèlement, l'évolution des moyens de transport et de communication dissout l'échelle de la région dans celle du continent. En même temps, le développement industriel et économique favorise la ville au détriment des campagnes. Simultanément, l'homme a un autre cadre de vie, un autre sens du travail ; la nature jusqu'ici omniprésente s'efface dans une réalité urbaine qui semble parfois la broyer. De tels changements ne seront pas sans conséquences sur le comportement de chacun ; nostalgie d'un équilibre rompu et exigence de fuite en avant seront des réactions contradictoires mais généralisées.
Dans le contexte de l'Histoire de l'Art, on ne saurait ignorer l'apparition encore récente de la photographie qui aura des conséquences directes sur l'évolution de la peinture. Dès 1839, elle apparaît comme une technique concurrente de la peinture ; au temps du réalisme, elle donne un témoignage "objectif", même si l'acte photographique ne saurait faire abstraction de celui qui vise. Les peintres se sentent directement concernés quand ils découvrent qu'on n'a plus besoin d'eux pour décrire, représenter, illustrer..... En prouvant que la vérité de la nature ne correspondait pas à la vision humaine, la photographie ouvrit une crise décisive. Les peintres durent réinterroger la finalité de leur art pour justifier leur raison d'être. S'impose désormais le concept que le réel est une globalité dont on ne percevrait que les contingences indispensables ; aucune réponse ne pouvant prétendrent être définitive. Un tel regard analytique sur l'histoire de l'art invite bientôt à considérer l'oeuvre comme une réalité régie par ses propres lois. La peinture n'est plus subordonnée à quelque chose d'extérieur ; comme tout langage, elle sert à communiquer, mais est également structurée à partir d'éléments spécifiques dont on se doit de reconnaître la puissance expressive.
A la veille de l'Impressionnisme, la peinture apparaît comme une inévitable abstraction consistant à ramener les trois dimensions du réel sur une surface. L'art continue à être orientée par la volonté de traduire le visible mais commence à chercher également sa propre réalité. La création artistique étant inséparable de l'époque qui la nourrit, celle du début du XXème siècle est marquée par sa foi en l'évolution et par la possibilté de transformer le monde grâce à la science (cela a-t-il changé depuis ?).
Sur le plan artistique, cette exigence de l'invention inaugure ce qu'on désignera comme
"le temps des avant-gardes" et alors qu'un tableau avait toujours été l'organisation abstraite d'éléments plastiques, dès 1880, l'ordre des opérations s'inverse : on ne va plus seulement de la perception à la représentation mais aussi de l'intuition à l'organisation.